dimanche 21 février 2016

Maurice Cocagnac, Rencontre avec Carlos Castaneda

Carlos dit une chose qui me semble tout à fait juste parce que j'ai eu bien des occasions de la vérifier : le pouvoir change certains hommes de manière très dommageable. On en vient alors à regretter le temps où, libres de toute contrainte, ils se montraient généreux, authentiques, habitant leur véritable peau. ON les voit maintenant esclaves de l'opportun, mensongers, enrobés dans la toge de leur puissance, qui est aussi la livrée de leur servitude. Ils parlent la langue de bois, d'un bois qui peut être précieux mais qui demeure rigide. Ces xylophones du  pouvoir sont, en vérité, très fragiles.
Carlos me raconte alors que, se trouvant un jour face à un de ses supérieurs qui lui tenait un discours préfabriqué, il s'est contenté d'user une arme mexicaine. Pendant que l'autre se répandait en paroles, lui s'est concentré pour imaginer en cadavre le partenaire de l'impossible dialogue. Il a pu ainsi constater que le ton du discours faiblissait et que l'impératif devenait dubitatif; "A la faveur de ce fléchissement, me dit Carlos, on peut reprendre ses esprits et manier, s'il l'on se sent dans son droit, l'argument assez puissant pour déstabiliser celui dont la puissance tient à un fauteuil ou à une chaire."
J'ai personnellement essayé : parfois cela marche, cela marche même très bien. Dans ces batailles de pouvoir, celui qui gagne est celui qui a pu se voir lui aussi en cadavre. Pour qui est parvenu à situer sa mort dans la conscience ordinaire de son existence, il est aisé de détecter le mensonge. La mort donne le la qui permet de vérifier le ton d'une affirmation.

Maurice Cocagnac, Rencontres avec Carlos Castaneda et Pachita la Guérisseuses, Albin Michel, 1991, p.82

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