mardi 2 novembre 2010

Antonin Artaud. Rêves et anciens rites du Mexique

Car les objets ne forment pas le réel, mais ils sont dans le réel en voyage ; et dans le rêve, ce sont les propriétés des objets qui voyagent ; et se passant de l’un à l’autre leurs forces, ils nous apprennent la réalité en entier.
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Les paroles absurdes du rêve sont des paroles de la réalité en voyage, c’est-à-dire qui vient de commencer à parler.
Faire le sacrifice de soi, c’est entrer dans la réalité murmurante ; c’est permettre à tous les objets du Sensible d’utiliser vraiment leurs propriétés. Renoncer à une propriété singulière, c’est le moyen d’entrer réellement dans toutes les autres. Et l’altruisme primitif qui réside dans un abandon illimité de soi-même fournit une richesse dont la conscience étriquée de l’homme moderne ne soupçonne pas les propriétés.
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Si tout est dans tout, seul l’esprit primitif a permis à la conscience humaine d’entrer dans la variété des objets par la métamorphose d’un objet.
Et le rêve à travers les temps nous ramène ce temps où, sous le choc de la spontanéité humaine, la Nature entière devenait ensorcelée.
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Il y a au Mexique une plante-principe qui fait voyager dans la réalité. C’est par elle qu’une couleur infiniment étirée s’écartèle jusqu’à la musique d’où elle est sortie ; et cette musique amène des bêtes qui hurlent avec la sonorité d’un métal martelé.
On comprend l’adoration de certaines tribus d’Indiens du Mexique pour le Peyotl, qui ne fait pas les yeux émerveillés comme le vocabulaire européen nous l’enseigne, mais qui possède l’étrange vertu alchimique de transmuter la réalité, de nous faire tomber à pic jusqu’au point où tout s’abandonne pour être sûr de recommencer. Par lui on saute par-dessus le temps qui demande des millénaires pour changer une couleur en objet, réduire les formes à leur musique, ramener l’esprit à ses sources, et unir ce qu’on croyait séparé.
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Certes, nous sentons tous confusément, ici, en Europe, que le monde extérieur est fini, et qu’il est temps de revenir à autre chose. Ce que nous ne trouvons plus dans le monde éveillé c’est dans le rêve que nous allons le chercher. Et c’est en puisant dans la vie des rêves où leur psychologie à chacun disparaît que les artistes de maintenant en ramènent ces figures, ces formes signes, qui ont avec les productions primitives de si étranges parentés.
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L’esprit indien, quand il subsiste, continue obstinément à produire ces symboles, ces formes signes qui causent notre étonnement.
J’ai vu dans les danses magiques des femmes avec leur enfant au bras faire le geste d’enlacer le soleil ; et elles connaissent ataviquement le chiffre qui rend efficace cet enlacement.
D’antiques rites et d’anciennes vertus reposent au Mexique dans des montagnes ; et l’homme y brûle les arbres systématiquement en forme de signes ; et ces signes qui sont exactement ceux de toute magie traditionnelle, la Nature, comme pour répondre à l’appel de plus en plus désespéré des hommes, les sculpte, avec une rigueur obstinée et mathématique dans les formes de ses rochers.
On voit donc que le Mexique, quand il demeure fidèle à lui-même, n’a rien à recevoir de personne, mais au contraire qu’il a tout à donner.

Antonin Artaud. Le Mexique et l’esprit primitif : Maria Izquierdo. 1936. In Messages révolutionnaires. Gallimard, 1971, pp. 157-162. Traduit de l’espagnol par Marie Dézon et Philippe Sollers

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